1. Un contexte politique très clair : souveraineté d’abord
Depuis 2024, Paris et Berlin affichent une ligne commune : l’Europe doit être capable d’innover en intelligence artificielle et dans le cloud sans dépendre totalement des hyperscalers américains.
La déclaration franco-allemande de 2025 marque un tournant stratégique vers une Europe « plus souveraine » sur le numérique.
Cette orientation prolonge la dynamique du projet Gaia-X, visant à bâtir une infrastructure de données interopérable, sécurisée et conforme aux standards européens.
Mais la nouveauté en 2025, c’est la convergence de trois piliers technologiques : cloud, IAet informatique quantique, désormais pensés comme des leviers indissociables de souveraineté numérique.
Pour le secteur financier et assurantiel, cette trajectoire politique s’aligne parfaitement sur les réglementations DORA et NIS2, qui imposent de maîtriser les dépendances numériques critiques.
2. Ce que cela change pour les acteurs du secteur financier
Les banques et compagnies d’assurance sont parmi les premières à pouvoir tirer parti de cette coopération renforcée.
Plusieurs opportunités se dessinent :
Des offres cloud mieux alignées sur la conformité
Les référentiels de sécurité français et allemands (SecNumCloud, C5, bientôt EUCS) convergent, facilitant la démonstration de conformité DORA pour les prestataires TIC critiques.Une meilleure maîtrise de la localisation et de la juridiction des données
Les infrastructures souveraines garantissent que les données sensibles restent hébergées et traitées dans un cadre juridique européen, renforçant la confiance et la protection vis-à-vis des lois extra-européennes.Des capacités IA “entraînables en Europe”
Les initiatives communes favorisent le développement de modèles d’IA sur des données financières européennes, dans un environnement de confiance, sans transfert hors de l’UE.Une cohérence accrue avec les objectifs de résilience réglementaire
La coopération franco-allemande met en avant la sécurité, la disponibilité et la transparence, en phase directe avec l’esprit de DORA et de NIS2.
3. Articulation avec DORA et NIS2
Le règlement DORA impose aux entités financières d’identifier leurs prestataires TIC critiques, de démontrer leur capacité de résilience en cas d’incident, et de tester régulièrement leurs dispositifs (TLPT).
Un cloud européen certifié simplifie cette conformité grâce à une meilleure transparence : localisation des données, traçabilité, sous-traitance, SLA, journaux d’activité.
Du côté de NIS2, les institutions financières classées comme “entités essentielles” bénéficient également d’un avantage : l’usage d’un cloud souverain facilite la gestion des risques liés à la supply chain et le signalement rapide des incidents au sein de l’Union européenne.
4. Les points de vigilance
Si la coopération franco-allemande marque un progrès majeur, plusieurs défis demeurent :
Une maturité fonctionnelle inégale : les clouds souverains ne couvrent pas encore tous les besoins complexes du secteur bancaire (PaaS, IA as a Service, calcul temps réel).
Un coût total de possession plus élevé : la souveraineté a un prix que les acteurs devront compenser par des gains de maîtrise et de conformité.
Un cadre réglementaire IA encore en évolution : la mise en œuvre du futur AI Act devra être clarifiée pour ne pas freiner l’adoption des modèles européens.
Le risque de fragmentation : la multiplication des initiatives (Gaia-X, EUCS, clouds nationaux, labels sectoriels) exige une harmonisation pour éviter des exigences différentes d’un pays à l’autre.
5. Ce que les établissements peuvent faire dès maintenant
Les banques et assurances peuvent dès aujourd’hui s’engager concrètement dans cette dynamique en :
Cartographiant leurs charges critiques relevant de DORA/NIS2 pour identifier celles pouvant migrer vers des clouds européens certifiés ;
Exigeant des fournisseurs souverains un dossier de conformité DORA-ready (PRA, PCA, journaux, sous-traitance, reporting) ;
Intégrant l’IA dans la gouvernance des risques : modèles entraînés dans l’UE, jeux de données tracés, contrats compatibles avec l’AI Act ;
Suivant les positions communes France–Allemagne sur la simplification du cadre cyber et IA afin d’anticiper les évolutions réglementaires.
6. Conclusion
La coopération France–Allemagne marque un tournant : elle aligne enfin souveraineté, innovation et conformité au sein d’un même cadre européen.
Pour les institutions financières, c’est une opportunité de reprendre le contrôle sur leurs dépendances technologiques, de renforcer leur cybersécurité et de transformer leurs obligations réglementaires en levier stratégique.
Le Forum des Compétences continuera d’accompagner ces évolutions au travers de ses groupes de travail dédiés à la réglementation, à la résilience numérique et au cloud souverain, afin de contribuer à la construction d’un modèle européen de cybersécurité durable.
Un cloud souverain est une infrastructure d’hébergement et de traitement de données qui garantit :
Une localisation des données sur le territoire européen ;
Une indépendance juridique vis-à-vis des législations extra-européennes (ex. Cloud Act américain) ;
Une conformité avec les standards européens de cybersécurité (SecNumCloud, C5, futur EUCS) ;
Une gouvernance européenne : propriété, exploitation et maintenance par des acteurs établis dans l’UE.
Son objectif est de permettre aux institutions critiques (banques, assurances, santé, énergie) de conserver la maîtrise technique et réglementaire de leurs données.
Un cloud souverain est intégralement contrôlé par un acteur européen.
Un cloud de confiance, en revanche, repose souvent sur une technologie étrangère (AWS, Azure, Google Cloud) mais opérée sous licence ou partenariat local, avec des garanties de sécurité et de confidentialité renforcées.
Les deux approches visent à atteindre un haut niveau de sécurité, mais seule la souveraineté garantit une autonomie juridique totale.
Les principaux cadres de certification sont :
SecNumCloud (ANSSI, France) – le plus exigeant, requis pour de nombreuses entités régulées ;
C5 (BSI, Allemagne) – standard équivalent côté allemand, souvent exigé dans les appels d’offres publics ;
EUCS (European Cloud Services Scheme) – futur cadre européen en cours d’élaboration, qui harmonisera les niveaux de sécurité entre États membres.
Les institutions financières qui anticipent ces exigences facilitent leur conformité DORA et NIS2.
Le Digital Operational Resilience Act (DORA) impose aux entités financières de :
Identifier leurs prestataires TIC critiques ;
Gérer les risques liés à la sous-traitance ;
Prouver leur capacité de résilience (tests, plans de continuité, reporting).
Un cloud souverain certifié offre une traçabilité complète des sous-traitants, une visibilité sur les journaux d’incidents, et des SLA conformes au cadre européen, simplifiant ainsi les audits DORA.
DORA encadre la résilience opérationnelle des entités financières.
NIS2 élargit le champ de la cybersécurité aux “entités essentielles”, dont les banques et assurances.
Le cloud souverain constitue un levier technique pour répondre à ces deux textes : il renforce la gouvernance des données, la résilience des infrastructures, et facilite les déclarations d’incidents en maintenant les flux au sein de l’UE.

